Un projet innovant sort rarement de nulle part et Rudi ne fait pas exception à la règle. Le projet s’appuie sur près de dix ans d’expérimentation sur la gouvernance locale des données. Ce deuxième billet de Simon Chignard, expert de l’UIA, remonte à la fondation du projet Rudi. Comment cette expérience a-t-elle contribué à forger les questions soulevées par Rudi ? Où en sommes-nous dans la courbe d’apprentissage ?

En tant que territoire doté d’un solide écosystème numérique, basé sur la recherche publique et les entreprises privées, Rennes a une longue histoire d’innovation numérique pour le service public. Au début des années 2000, la ville a investi dans les données géospatiales et les infrastructures pour construire et exploiter l’un des premiers jumeaux numériques 3D du territoire. En 2010, Rennes Métropole a fait partie des pionniers du paysage français des données ouvertes et a été reconnue comme telle par d’autres acteurs majeurs du domaine.

En 2015, la collectivité territoriale a mis en place une instance interne, animée par des élus, chargée de la stratégie « Smart City« . Il est rapidement apparu qu’il y avait un fort besoin de données de qualité pour chaque politique publique (déchets et consommation d’énergie, budgets participatifs, etc.) Il est impossible de concevoir un programme de collecte intelligente des déchets sans disposer de données sur le volume exact des déchets dans chaque quartier, ou mieux encore, au niveau des rues. C’est pourquoi la ville a placé les données au cœur de sa stratégie « Smart City« .

Explorer un nouveau rôle pour la collectivité territoriale

A partir de 2016, la collectivité locale a conçu un « Service Public Métropolitain de la Donnée » (SPMD) avec l’ambition d' »accompagner l’évolution des services publics dans un environnement où les données deviennent de plus en plus importantes ».

De 2017 à 2019, la collectivité a entamé la phase de préfiguration de ce nouveau service, avec le soutien financier de l’Etat (PIA, programme d’investissement d’avenir). Quatre thématiques ont été étudiées : l’eau, l’énergie, la mobilité, les données socio-démographiques. Chaque groupe thématique a réuni la collectivité et les principaux partenaires locaux et nationaux. Ils avaient pour but d’identifier les opportunités et les difficultés du partage des données. Par exemple, étant donné la sensibilité politique du sujet, l’acteur local chargé de l’agrégation et de l’analyse des données sociodémographiques s’est montré très réticent à partager et à ouvrir davantage les données.

La première leçon est que cette approche thématique n’était pas aussi pratique qu’on le pensait au départ. En effet, les thèmes de la mobilité ou de l’énergie sont trop vastes et englobent trop de réalités différentes. De plus, certains acteurs clés des territoires agissent sur des thématiques différentes, ce qui rend leur participation à chaque groupe plus longue.

Néanmoins, cette approche a permis d’avoir une meilleure vision de l’écosystème des données sur quatre thèmes différents. Simultanément, plusieurs projets opérationnels ont été lancés sur le territoire, par exemple sur la collecte de données des compteurs de vélos sur l’espace public (Eco Compteurs) ou l’acquisition de « données sur les voitures flottantes » (une technique pour évaluer la vitesse et la congestion du trafic, basée sur les données des téléphones mobiles). L’agence d’urbanisme a travaillé sur une nouvelle description du territoire en utilisant plusieurs sources de données, dont les données énergétiques. Chacun de ces projets a bénéficié du soutien et de l’expertise de l’équipe chargée des données. Le fait de partir de cas d’utilisation, plutôt que d’une approche thématique plus large, s’est également avéré plus efficace. Cela a également permis de faire un aller-retour régulier entre les attentes du projet et la disponibilité des données.

Renforcer l’écosystème local

En 2018 et 2019, Rennes Métropole a organisé quatre événements d’une journée, rassemblant à chaque fois plus de 150 participants. Ce format, combinant des panels de discussion le matin et des ateliers collaboratifs l’après-midi, s’est avéré très efficace à plusieurs niveaux. Tout d’abord, il a permis d’aborder des questions clés (telles que la confiance ou le consentement) avec l’aide d’experts nationaux et les apports d’autres initiatives locales européennes et nationales. Deuxièmement, il a permis de sensibiliser les acteurs locaux à ces questions, indépendamment de leur proximité avec le numérique et les données. Ce n’est pas surprenant que la plupart des 12 partenaires impliqués dans Rudi aient pris une part active à cette première phase de préfiguration.

Cette approche a conduit à la création d’un groupe d’acteurs territoriaux qui souhaitent collaborer, partager des données et faire émerger de nouveaux cas d’utilisation dans l’intérêt général (C:ronos, évaluation du service public de données métropolitaines, décembre 2019).

La nécessité d’une gouvernance plus formalisée

L’expérience accumulée sur ce territoire au cours des dernières années a contribué à façonner le projet Rudi. La phase de préfiguration a révélé la nécessité d’un cadre de collaboration plus formalisé entre les partenaires. Le partage des données, en particulier entre les acteurs privés et publics, n’est pas une tâche facile. La gouvernance est un défi crucial et il lui manque un cadre formel aux niveaux européen et national. La construction d’un tel cadre, basé sur une série de règles, convenues par chaque partenaire, est l’un des objectifs de Rudi. La gouvernance apparaît généralement comme un simple concept, mais nous pouvons aussi la traduire en questions opérationnelles. Qui devrait avoir accès aux données privées ? Un producteur devrait-il avoir un droit de veto, c’est-à-dire la possibilité de refuser l’accès à ses données pour un projet spécifique ? Qui décide quel projet est d’intérêt général ? Ce sont là des questions difficiles. Il est certain que l’expérience des dix dernières années – et le sens de la communauté qui l’accompagne – sont d’une grande aide pour trouver des réponses adéquates !

Simon Chignard expert UIA

Simon Chignard,
Expert européen UIA du projet RUDI